Se décapitaliser l'esprit (part 1)
Comment faire pour retrouver son autonomie de penser, lorsqu'on est sans cesse influencé·e et manipulé·e ?
Au menu du jour :
1. Introduction : Définir "se décapitaliser l'esprit"
2. Échapper à l’influence de mes pensées et croyances
3. Comment le contrôle social nous modélise
4. Mais alors, comment se défendre ?
6. Conclusion & ressources
1. Introduction : Définir "se décapitaliser l'esprit"
Je n’arrive pas à me souvenir de la première fois où j’ai entendu ce terme. Je me souviens seulement l’avoir écrit dans mes notes pour m’en rappeler, car il m’a marqué. Il fait même partie de mes envies de 2025 : “me décapitaliser l’esprit”. Comme si c’était quelque chose de tout à fait normal.
- “C’est quoi tes objectifs de 2025 ?”
- “Cette année j’arrête de fumer !”
- “Ah super, bah moi je me décapitalise l’esprit”
- “Oh géniale !”
Je ne savais pas précisément ce que cela voulait dire, mais pourtant ça m’a semblait hyper juste. Bon et puis, j’ai fini par plonger un peu dedans pour expliquer, ou tenter de m’expliquer, ce que je comprenais de ce terme et comment il soulève tout un tas de questions, en tout cas pour moi.
L’expression “se décapitaliser” n’a pas de définition unique, même quand on fouille les dictionnaires traditionnels, cela dépend de son contexte :
- Wiki propose “Retirer à une ville son statut de capitale”
- Larousse “En parlant d'une entreprise, diminuer la valeur de son capital.”
- Le Robert “Retirer la valeur de capital à (des intérêts, des valeurs).”
Ce qui revient c’est le fait de “retirer la valeur de capital à”, interprété dans un sens figuré ou métaphorique. Et ce qui m’intéresse ici, c’est le sens métaphorique du terme, puisqu’à priori je ne vais pas retirer à une ville son statut de capitale même si j’aimerais bien essayer pour voir. Et donc, métaphoriquement, se décapitaliser c’est un peu comme un processus où l’on retire, on enlève, on se libère de.. de quoi ? Bah, du capitalisme entre autre… on s’en dépouille !!!
Souvent, quand je m’entends dire “y en a assez !” “j’en ai trop marre” “c’est trop!” “faut arrêter là”… bah c’est souvent parce que quand c’est trop, faut aller vers le moins. Quand je déborde, faut peut-être que je retire le surplus. C’est un peu tout ça aussi le burn-out, ce moment où le corps et l’esprit n'en peuvent plus, où l'accumulation devient insupportable. C’est une forme de rupture où, pour survivre, il faut apprendre à se désengager, à mettre des limites et à retrouver de l'espace. C’est un signal qu’il est temps de lâcher prise, de réduire la charge, de ralentir pour permettre à l’énergie de revenir, doucement.
Nos cerveaux et nos corps sont constamment sollicités, et le capitalisme fonctionne parfaitement pour ne surtout pas améliorer cette situation.
Alors, d’après ce point de vue, “se décapitaliser” pourrait signifier :
Se défaire de l’accumulation et/ou de l’influence de ressources extérieures matérielles et idéologiques, afin de se recentrer sur soi-même, ses priorités, ses besoins réels, les autres et pouvoir remettre en question des systèmes ou des valeurs imposées.
« Si tu t'efforces toujours d'être normal, tu ne sauras jamais à quel point tu peux être exceptionnel.le »
— Françoise d'Eaubonne
En fait, se décapitaliser c’est un peu comme réduire l’emprise qu’il y a sur nous : les structures de pouvoir, de domination ou de consommation qui nous influencent, et influencent notre société. On tente de se retirer de ça, on prend du recul, on rompt avec des formes de pensées ou de comportements influencés par des intérêts extérieurs à nous (pressions sociales, capitalisme…) pour s’approcher d’intérêts intérieurs (bien-être, valeurs, communauté…).
Dans cet article, je vais tenter d’expliquer tout ça, et surtout concrètement qu’est-ce qu’on peut décapitaliser ? Comment ? Par où commencer ? Je me suis posée ces questions pour nous !
2. Échapper à l’influence de mes pensées et croyances
« Je sais ce qu’il en coûte de s’arracher à ses propres croyances. Tu deviens comme un arbre qui pleurerait en tirant sur ses propres racines. Il faut pourtant être passé par là, pour planter mieux, plus profond, et repartir comme un charme. »
— Daniel Bensaid
Dans l’idée de “se décapitaliser l’esprit”, ma réflexion a d'abord porté sur mes pensées et mes croyances.
Ces dernières trouvent leurs racines dans mon passé, mon éducation, mes expériences et ma culture. J'ai adopté la manière de penser de mes parents, puisé dans les influences de ma culture et de la société dans laquelle j’évolue, et intégré des croyances religieuses ainsi que des influences médiatiques que j'ai consommées (télévision, cinéma, internet…).
Sans même m’en rendre compte, j’ai également absorbé les messages publicitaires omniprésents dans mon environnement. En permanence, je suis influencée par ce qui m'entoure. Certaines de mes croyances, consciemment ou non, peuvent également être des mécanismes de défense, permettant à mon esprit de me protéger de certaines vérités ou réalités inconfortables, afin de réduire l'impact émotionnel que je pourrais ressentir.
Ce que je crois être moi n’est en réalité que le fruit d’un enchevêtrement complexe de constructions venues de l’extérieur, forgées au fil des années.
Telle une éponge, d’abord sèche, qui a peu à peu absorbé tout ce qui l’entourait, se gorgeant d'influences, de jugements, de modèles, jusqu’à devenir, année après année, une masse saturée, cramoisie d’eau sale, perdant peu à peu sa pureté originelle (ahah, je ris de ma métaphore).
Ce que je perçois comme ma vérité intérieure n’est qu’un miroir déformé de ce que le monde a projeté sur moi, une accumulation de filtres qui brouillent la réalité de mon être profond.
Je suis un peu comme une Bob l'Éponge Normative d'une société absorbante, ou même une Bob l'Éponge Capitaliste, qui s'inflige un masque de convenance, une forme adaptée aux attentes collectives. Et dans cette sursaturation, où chaque goutte d'identité se fait emprisonner par des impératifs externes, il devient difficile de distinguer ce qui m’appartient réellement, de ce qui m’a été imposé. Mince, je suis qui en fait ?
« Envoyez balader les conventions, les traditions et les qu'en dira-t-on. Fichez-vous des railleries et autres jalousies. Vous êtes importantes. Devenez prioritaires. »
— Gisèle Halimi
Mais alors comment prendre conscience de tout ça, comment changer de perspective ? Comment faire pour échapper à l’influence de mes pensées et croyances - souvent invisibles - et qui restreignent ma perception de ce qui est possible ou non pour moi ?
3. Comment le contrôle social nous modélise
J’ai appris qu’aucun groupe ne peut exister sans imposer des règles et des normes partagées. En psychologie sociale, cela s’appelle le règne du contrôle social. Ces normes de conformité assurent la cohésion du groupe en réduisant les conflits internes et en éliminant les comportements dits “déviants”.
Le contrôle social peut être formel ou informel :
Contrôle social formel : Il est exercé par des institutions officielles telles que l'État, la police, la justice, les écoles, et autres autorités publiques. Ce type de contrôle impose des règles, des lois et des sanctions (amendes, peines de prison, etc.) pour celles et ceux qui enfreignent les normes sociales établies.
Contrôle social informel : Il est exercé par les individus eux-mêmes au sein de la société, souvent par des moyens implicites tels que les attentes sociales, la pression des pairs, la famille, et la culture populaire. Ce contrôle est basé sur l'adhésion volontaire à des normes, et les sanctions sont moins formelles, comme la désapprobation sociale, l'ostracisme ou la stigmatisation.
Ce contrôle est omniprésent. Dès notre plus jeune âge, nous sommes formés à intégrer ces normes sociales, ces codes visibles et invisibles, pour nous conformer à penser et agir selon des modèles prédéfinis. Et tout ça, sans en avoir la plupart du temps conscience. C’est tellement puissant que cela peut pousser un individu à agir de manière contraire à ses valeurs, lorsque l’autorité qui lui ordonne de le faire est perçue comme légitime. (Coucou les dérives, les gourous, les politiciens, les dirigeants d’entreprises…)
Jusqu’où sommes-nous prêt.e à nous conformer ? A t-on une identité propre, ou répondons-nous tous.tes à des normes et des attentes sociales ?
Bien que le contrôle social semble essentiel pour maintenir l’ordre et la cohésion au sein de la société (c’est du moins sa promesse), il n’est pas exempt de critiques :
L’uniformisation de la pensée et des comportements, et celles et ceux qui dévient de la norme sont perçu·e·s comme “anormaux”, “déviant·e·s”, “socialement inacceptables”, “hors normes”. Ce processus ne fait que supprimer la créativité, l'originalité, l'innovation, la diversité d’opinions, etc.
Cela maintient fermement la domination, les inégalités et les injustices. Les normes sont imposées par des autorités dominantes (politiques, économiques, culturelles), renforçant ainsi l'injustice. Par exemple, des lois ou des normes sociales peuvent être utilisées pour légitimer l'exclusion ou l’oppression de certaines populations (minorités ethniques, groupes de genre, etc.). Le contrôle social devient ainsi un outil au service des pouvoirs en place, consolidant des privilèges au détriment de celles et ceux déjà marginalisé·e·s.
C’est la fin de l’autonomie individuelle. Au lieu de permettre à chacun·e de déterminer ses propres croyances, valeurs et actions, le contrôle social oblige à se conformer à des attentes externes. On n’agit plus par conviction, mais par obligation.
Le désir de se conformer aux normes peut pousser les individus à adopter des comportements qu’ils ou elles ne souhaitent pas vraiment, juste pour “s’intégrer” ou “être accepté·e·s”. Cela peut entraîner un conflit intérieur, où l’individu lutte entre ses désirs personnels et la nécessité de répondre aux attentes sociales. Ce conflit peut avoir des conséquences négatives sur la santé mentale.
L’illusion de la liberté, qui nous fait croire qu’en choisissant de consommer certains produits ou services, nous serons plus libres et heureux·se. Pourtant, nos choix sont prédéterminés et influencés par les stratégies de marketing dans une société capitaliste.
Un mode de vie imposé, qui favorise la productivité et la rentabilité, nous pousse toujours plus à valoriser le travail et la compétitivité, au détriment de notre bien-être et du collectif.
Pourtant, ces croyances et pressions sociales, bien que puissantes, ne sont pas invincibles. Il est possible de prendre du recul, de développer un esprit critique et d’échapper à cette influence. La clé réside dans la conscience de cette influence et la volonté de la remettre en question. La clé réside dans : SE DÉCAPITALISER L’ESPRIT ! (Bah oui, on y revient !).
4. Mais alors, comment se défendre ?
Voici une liste, non exhaustive, de stratégies à adopter ou de perspectives à changer, accompagnée de quelques-unes de mes astuces personnelles afin de déjouer les méchants qui nous influence et devenir l’essence même de qui on est au plus profond de soi (ou du moins agir avec discernement !)
Cultiver l’esprit critique
Se questionner sur la provenance des informations est une étape clé pour éviter d’être manipulé·e. Qui est l’auteur·e ? Quelle est la source originale ? Quelles intentions peuvent motiver ce message ? En comprenant le contexte et les objectifs derrière une information, il devient plus facile de discerner le vrai du faux et de repérer les biais ou manipulations éventuelle·s.
Prendre du recul face à l’émotion que certaines informations ou messages cherchent à déclencher est essentiel. Il est facile de réagir sur l’instant, renforçant ainsi leur apparente vérité. Prendre du recul consiste à s’accorder un moment pour respirer, réfléchir et analyser avant de répondre ou de se laisser influencer. Cela permet de mettre une distance entre soi et le contenu reçu, de questionner son impact émotionnel et de s’interroger sur ses intentions sous-jacentes.
Sites contre la désinformation : https://www.hoaxbuster.com/ etApprendre à nuancer : Il ne faut pas réduire une problématique à un seul point de vue ; il est important de chercher des perspectives variées pour mieux comprendre les enjeux et éviter les généralisations hâtives.
Rechercher des contre-arguments : Il ne faut pas se contenter d’accepter ce qui est présenté. Il est important de chercher activement des arguments opposés ou des perspectives différentes. Cela peut se faire en lisant des livres ou des articles qui défient notre vision du monde, ou en discutant avec des personnes ayant des points de vue opposés.
« Sortir du cadre donné, s’il ne nous convient pas, et nous définir nous-même pour notre propre équilibre et notre propre bonheur au quotidien. »
— Barbara Polla
Renoncer aux idéaux imposés
Reconsidérer le succès : Il ne faut pas se limiter à une définition du succès dictée par la société (carrière, richesse, statut). Il est essentiel de définir ce que le succès signifie personnellement. Cela peut être davantage de temps pour soi-même, des relations plus authentiques, ou la satisfaction d’avoir agi en fonction de ses propres valeurs.
Vivre selon ses priorités : Une fois que ce qui est important est clarifié, il est essentiel d’apprendre à dire non aux distractions ou aux engagements qui ne correspondent pas aux priorités profondes. Cela peut signifier refuser des invitations sociales si elles n’apportent pas de valeur ou vont à l’encontre du bien-être.
Défier les stéréotypes de genre : Il est essentiel d’être attentif·ve aux stéréotypes de genre pour promouvoir une vision plus égalitaire et respectueuse des individus. Lorsqu’un stéréotype est exprimé, il est important de prendre le temps de questionner cette idée avec bienveillance, en soulignant que chaque individu·e est unique, peu importe son sexe ou son genre.
Limiter les influences négatives : Il est important de réduire le temps passé à consommer des contenus influencé, privilégiant les contenus indépendants (médias, réseaux sociaux, etc.). Il est utile de faire régulièrement le tri dans les réseaux, en se demandant qui mérite d’être suivi et qui ne met pas à l’aise. Sans culpabiliser de “unfollow” quelqu’un·e si c’est une décision personnelle.
Techniques pour dépolluer son esprit capitalisé
Méditation et pleine conscience : Ces pratiques aident à calmer l’esprit, réduire le stress et se libérer des pensées négatives. Elles permettent aussi d’observer ses schémas mentaux sans y réagir automatiquement. La méditation peut être difficile au début, il est donc conseillé de commencer petit à petit. Attention, si l’on est en dépression ou souffre d’anxiété, cela peut être contre-productif. Mais si l’on est réceptif·ve, les méditations guidées peuvent être bénéfiques.
Retrouve une méditation guidée gratuite chaque lundi sur ma chaîne YouTube : https://www.youtube.com/@tiffanygarrido/videos
Écriture intuitive : Tenir un journal où l’on note ses pensées, réflexions et émotions permet de prendre du recul et de remettre en question ses croyances et pensées capitalisées. Il est utile de prendre conscience des pensées récurrentes et de se demander si elles sont vraiment les siennes ou si elles ont été imposées.
Engager un travail thérapeutique ou un accompagnement : Travailler avec un thérapeute permet d’identifier et de changer les schémas de pensée négatifs et les croyances qui ne nous appartiennent pas. La TCC (Thérapie Comportementale & Cognitive) est particulièrement efficace pour reprogrammer les croyances, mais d’autres méthodes, moins étudiées statistiquement, peuvent également être utiles.
Les Cercles (en ligne ou en présentiel) : Ces espaces permettent de conscientiser ses pensées, celles des autres, de s’interroger et de prendre le recul nécessaire pour modifier ses modes de pensée répétitifs.
Le prochain Cercle Rituel en ligne avec moi aura lieu en Février !
5. Conclusion & ressources
En somme, échapper à l’influence de nos pensées et croyances est avant tout un travail de désapprentissage et de libération. Il s’agit de se défaire des chaînes invisibles imposées par la société, les groupes et les autorités, pour retrouver notre liberté intérieure. Ce processus nécessite du courage, de la réflexion, et une volonté d’action concrète pour créer un monde plus authentique, où nous sommes libres de penser, d’agir et de vivre selon nos désirs et convictions. Et surtout, cela n’est ni de notre faute, ni uniquement de notre responsabilité. Ensemble, nous pouvons réussir à atteindre l’objectif 2025 : se “décapitaliser l’esprit” ;)
Dans la partie 2 de ce processus de “décapitalisation”, nous explorerons d’autres moyens pour y parvenir, tels que :
- S’engager davantage pour une vie plus authentique
- Consommer moins en portant attention aux détails
- Explorer la spiritualité pour comprendre l’importance du vide
Si tu ne veux pas manquer cela, je t’invite à t’abonner !
Si tu veux aller plus loin :
Livre :
Le Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens de Joule & Beauvois : Pour comprendre les techniques de manipulation et comment s’en défendre.
Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la pensée de Daniel Kahneman : Une exploration des mécanismes cognitifs qui influencent nos jugements et décisions.
Factfulness de Hans Rosling : Un ouvrage qui aide à voir le monde avec des données concrètes et à éviter les biais alarmistes.
Au coeur de l'esprit critique : Petit guide pour déjouer les manipulations de Séverine Falkowicz, Clément Naveilhan, MrContradico : qui offre des outils pour repérer et contrer les manipulations, tout en développant une pensée indépendante et éclairée.
Documentaire :
Sommes-nous libre ? Conformisme - Psychologie sociale, Notre Monde : ici
Que perdons-nous à gagner du temps ? Arte : ici
Comment dépasser le capitalisme, BLAST : ici
Podcast :
Photo de l’article : Art de Luciano Castelli
Merci de m’avoir lu,
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Prends soin de toi et des autres,
Tiffany Garrido
SOIN COLLECTI·VES
Très intéressant merci pour la qualité de cet article et des réflexions qu'il amène !
Sublime, merci beaucoup! 🙏✨